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L’hébergeur et la fausse concurrence de la LCEN et du droit de la presse avec le droit d’opposition « informatique et libertés »

À suivre la présente ordonnance de référé du Tribunal de grande instance de Paris, la loi « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978 ne peut servir de fondement à une demande de suppression d’un article litigieux en ligne dans la mesure où elle conduirait à éluder les dispositions protectrices de la liberté d’expression des lois du 29 juillet 1881 et du 29 juillet 1982.

[TGI Paris, réf., 23 juin 2008, RLDI 2008/42, nº 1393]

Pour obtenir la suppression d’articles accessibles sur des blogs anonymes à l’apparence de sites qui servent à la fois de défouloir et de tribunes, spécialement sur la vie politique locale de Valence, une personnalité publique mécontente fait flèche de tout bois. D’une part, par le truchement de l’avocat, il met en avant d’éventuels manquements à la loi pour la « confiance dans l’économie numérique » (LCEN) du 21 juin 2004 commis par la société qui assure l’hébergement faute de pouvoir identifier l’auteur, l’éditeur des propos litigieux pour s’en prendre directement à lui. D’autre part, pour parvenir à ses fins, il avance aussi l’existence d’un traitement automatisé de ses données personnelles au sens de la loi du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ; dans ce cadre, il prétend exercer pour des motifs légitimes le droit d’opposition consacré par l’article 38 de ladite loi pour obtenir la suppression de l’article lui déplaisant.

Prenant de la hauteur, avec justesse et pertinence, le juge des référés, en application de l’article 12, alinéa 2, du Code de procédure civile restitue aux faits leur exacte qualification juridique pour déterminer les règles de droit qui leurs sont applicables.
Saisi par voie de référé au titre de l’article 809 du Code de procédure civile pour ordonner la cessation d’un éventuel trouble manifestement illicite, le Tribunal de grande instance de Paris est appelé à se prononcer sur les prétentions de l’élu mécontent.

Dans un premier temps, est posée l’admission par le juge, à titre de preuve, des pièces versées au débat. Il s’agit d’un moment normal mais important pour fixer les éléments constitutifs du litige avec sûreté et précision. On sait que pour les services de communication en ligne, en raison notamment du caractère temporaire variable et circulant des contenus contestés, les difficultés sont accentuées et peuvent donner des arguments supplémentaires à la défense.

En l’espèce, la société d’hébergement mise en cause conteste la qualité du constat de l’huissier dressé, le 31 mars 2008, venant à l’appui de la demande de la personne visée par les articles contestés. Le juge du référé constate qu’effectivement le constat n’évoque qu’un site sur les deux en cause ( et ), que seulement deux impressions d’écran sont communiquées mais avec une date trop incertaine puisque différentes versions de textes en cause ont été mises en ligne. Par conséquent, le juge écarte du débat certaines pièces présentées par le demandeur qui « en l’absence de tout élément complémentaire » ne peuvent valoir preuve ou présomption de preuve. Heureusement, l’huissier en faisant une requête sur le blog a opéré relativement correctement en décrivant minutieusement les précautions techniques préalables prises (description du matériel et de la connexion à l’internet, indication de l’adresse IP de la machine utilisée, suppression des fichiers temporaires et des cnil cookies google analytics).

L’espèce confirme l’importance en amont du litige de la qualité du constat d’huissier déterminée par la compétence professionnelle, pour l’apport des preuves matérielles ; pour l’internet, il exige des procédures particulières, rigoureuses et techniques contrôlées par le juge (voir par exemple, TGI Paris, 4 mars 2003 ; CA Paris, 25 oct. 2006 ; CA Paris, 17 nov. 2006 ; TGI Mulhouse, 7 févr. 2007) ; le rejet du constat ou son acceptation sans valeur probante auront des conséquences graves pour le demandeur.

Dans un second temps, le juge du référé se penche sur les demandes de la personnalité locale souhaitant la suppression de l’article figurant dans le blog retenu, fondées sur le cumul de la violation de la LCEN du 21 juin 2004 et de l’article 38 de la loi modifiée du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Prenant de la hauteur, avec justesse et pertinence, le juge des référés, en application de l’article 12, alinéa 2, du Code de procédure civile restitue aux faits leur exacte qualification juridique pour déterminer les règles de droit qui leurs sont applicables.

Le demandeur exige la suppression d’un texte qui lui porte préjudice en raison de qualificatifs et d’assertions avancées à son endroit (« mort-vivant », « monnayage de services », « clientélisme », « il vomit ses rancœurs et permet à la presse de les étaler dans des papiers puants », « zombi ») de nature à nuire à sa carrière, sa probité et sa réputation. Or, les abus d’expression allégués de l’auteur-éditeur du blog en cause, assimilé à une publication, peuvent être qualifiés de diffamation ou d’injure au titre de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Les auteurs punissables sont alors, en application de l’article 42 de ladite loi, les directeurs de publications ou éditeurs ou, à leur défaut, les auteurs, les qualités se confondant en l’espèce pour le blog ; l’action publique et civile se prescrit après trois mois à partir de la première diffusion sur internet.
Les lois de 1881 et de 1978 ont chacune leur finalité, leur champ d’application, leurs règles : elles doivent être distinguées et non pas confondues ou mélangées.

En l’espèce, le juge estime alors que le demandeur se trompe de voie en faisant reposer sa demande de suppression sur le droit d’opposition au traitement de ses données personnelles qu’il tient de l’article 38 de la loi « Informatique, fichiers et libertés ». Il suspecte même une forme de détournement de finalité de la loi de 1978 pour « éluder les dispositions protectrices de la liberté d’expression de la loi du 29 juillet 1881, en particulier en son article 29 et de la loi du 29 juillet 1982 en son article 93-3 » (pour la communication au public par voie électronique). L’intérêt indiscutable du demandeur ne « saurait justifier d’écarter en l’espèce les dispositions de la loi de 1881 » et les strictes conditions de ses dispositions pour mettre fin à d’éventuels abus.
Ce que le juge veut empêcher avec raison c’est que par le biais du droit d’opposition (ou l’obligation de consentement préalable prévu par l’article 7 de la loi de 1978 modifiée), la protection des données personnelles, dont les objectifs figurent à l’article 1er de ladite loi, serve à limiter la liberté d’expression, elle aussi à valeur constitutionnelle en permettant la suppression de contenus préjudiciables. Les lois de 1881 et de 1978 ont chacune leur finalité, leur champ d’application, leurs règles : elles doivent être distinguées et non pas confondues ou mélangées. Par exemple, le droit d’opposition qui peut être exercé à tout moment, pourrait servir à contourner la règle de prescription de trois mois des délits de la loi de 1881 pour obtenir la suppression du message ; ce qui est peut être l’intention cachée en l’espèce puisque la société d’hébergement estimait acquise la prescription. On pourrait aussi tenter de contourner au titre du non-respect de la loi de 1978 le principe selon lequel les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l’article 1382 du Code civil (Cass. com., 2e ch. civ., 13 nov. 2003).

Le raisonnement est facile à mener en l’espèce parce que la suppression de l’article en cause passe par l’existence éventuelle de l’injure ou de la diffamation qui légitimerait la sanction.

Mais, il pourrait en être autrement si la suppression du contenu est demandée pour des raisons fortes et légitimes seulement au titre des dispositions des articles 7 et 38 de la loi de 1978 modifiée sans que le juge puisse opérer une requalification menant vers la loi de 1881 par l’intermédiaire des infractions relatives à ce texte. Le conflit entre la protection des données personnelles et la liberté d’expression serait direct, non médiatisé par la loi de 1881. La loi de 1978 modifiée pourrait-elle alors servir à obtenir la suppression d’un contenu dans des cas limites ? Le juge aurait alors à trouver un équilibre entre des libertés également de rang constitutionnel ; mais la tendance fortement dominante aujourd’hui est de limiter le plus possible les limitations à la liberté d’expression.
En l’espèce, le juge du référé observe avec justesse que, au titre de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, le droit d’opposition de l’article 38 doit être exercé auprès de l’éditeur du site qui est responsable du traitement des données personnelles et non auprès de la société qui assure l’hébergement du traitement ; elle n’est donc pas tenue de donner suite à la demande et son refus n’engage en rien sa responsabilité. Le juge constate au surplus la pauvreté de l’argumentation sur la réalité et la nature du traitement des données personnelles, l’obligation de déclaration préalable auprès de la CNIL (alors qu’un blog personnel est dispensé des formalités préalables : dél. CNIL, nº 2005-284, 22 nov. 2005 ; dispense nº 6 ; mais, en la circonstance, on se rapproche d’un blog à usage politique qui ne bénéficie pas de la dispense…).
L’espèce montre aussi la portée éventuellement trop extensive de la notion de traitement de données personnelles définie par l’article 2 de la loi « Informatique, fichiers et libertés ». La simple présence d’un nom de personne identifiée ou identifiable dans le contenu d’un site, d’un blog, d’un forum constitue-t-il un traitement automatisé de données personnelles offrant l’occasion d’utiliser toutes les ressources de la loi de 1978 modifiée à l’encontre du responsable du contenu ? La réponse ne va-t-elle pas varier en fonction de la finalité d’utilisation du nom, de la nature du droit à protéger, de la gravité de l’atteinte ? Il a déjà été jugé qu’un patronyme n’est pas une donnée personnelle si le lien avec une personne n’est pas suffisamment précis au sein d’une base de données généalogiques (TGI Paris, réf, 22 sept. 2008).

En l’espèce, il est relevé que le demandeur a envoyé, le 26 mars 2008, à l’adresse de l’éditeur un message électronique manifestant son opposition au traitement de ses données personnelles dans le corps de l’article contesté. Même si le juge a estimé, ensuite, que le droit d’opposition ne pouvait pas être utilisé pour obtenir la suppression de l’article, le demandeur a obtenu rapidement des effets utiles pour lui : dans l’article en ligne, son nom d’abord en clair a été remplacé par ses initiales, elles-mêmes ensuite remplacées par la périphrase « un certain Conseiller général de Valence » (ce qui pose la question de savoir si la personne en cause était encore identifiable pour déterminer l’existence de données personnelles…). Comme quoi, même en visant à côté, on peut toucher près du cœur de la cible…

S’en prenant toujours à la société d’hébergement du blog, le demandeur cherche aussi à engager sa responsabilité au motif qu’elle aurait commis une faute en violant certaines dispositions de la LCEN. Il est prétendu qu’en ne satisfaisant pas à l’obligation d’identification et de conservation des informations prévues à l’article 6-II, de la loi de 2004 permettant l’identification du directeur de la publication-éditeur-auteur du blog, l’hébergeur a privé le demandeur d’agir directement contre l’éditeur du site, ce qui légitime alors sa demande de suppression de l’article en cause adressée à l’hébergeur et rend fautif son refus.

On sait que l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 en ses points 2 et 3 organise un régime particulier de responsabilité allégée de l’hébergeur, prestataire technique, par rapport aux contenus – dont ceux des blogs – abrités. Le point 5 de l’article 6 précise les informations à notifier à l’hébergeur pour que celui-ci soit considéré comme ayant acquis connaissance des faits présentés comme litigieux par le réclamant de la suppression avec promptitude du contenu (ou de la suppression de l’accès) au cas où celui-ci aurait manifestement un caractère illicite pour reprendre l’interprétation du Conseil constitutionnel (déc. nº 2004-496 DC, 10 juin 2004). La loi exige notamment la fourniture de la copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur (donc, avant de saisir l’hébergeur) des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté.

Les juges se montrent rigoureux sur le contenu et le formalisme de la notification prévue par la loi en l’interprétant ou en la modelant dans une forme qui n’était pas forcément celle voulue par le législateur : faute de rigueur suffisante, l’hébergeur mal informé ne peut voir sa responsabilité engagée pour faute en cas d’inaction ou de refus de supprimer le contenu (voir TGI Paris, réf, 19 oct. 2006 ; CA Paris, 8 nov. 2006 ; TGI Paris, 13 oct. 2008). Les juges ont même apporté des conditions supplémentaires : la notification doit être communiquée à l’hébergeur par un moyen permettant de constituer une preuve fiable, telle que la lettre recommandée avec accusé de réception (TGI Paris, réf, 29 oct. 2007). Il est nécessaire de solliciter d’abord le retrait auprès du principal intéressé, auteur des contenus en cause, avant d’envoyer notification à l’hébergeur et d’en apporter la preuve (TGI Paris, réf, 16 juin 2008).
Les juges se montrent rigoureux sur le contenu et le formalisme de la notification prévue par la loi en l’interprétant ou en la modelant dans une forme qui n’était pas forcément celle voulue par le législateur.

En l’espèce, le demandeur estimait fautif l’hébergeur au titre de la violation du II de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 qui lui impose de détenir et de conserver les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l’un des contenus des services dont il est prestataire, données d’identification qui peuvent être requises par l’autorité judiciaire.

Dans la présente affaire, le juge constate que l’hébergeur ayant transmis par courrier, le 23 avril 2008, au demandeur l’adresse électronique fournie lors de l’inscription par l’administrateur du blog ainsi que l’adresse Internet Protocol (IP) utilisé par lui, il a rempli ses obligations légales. Grâce à ces informations fournies le demandeur disposait de la possibilité d’identifier le fournisseur d’accès à l’internet ayant attribué l’adresse IP. Il devenait alors possible, en principe en passant par un juge, d’obtenir du fournisseur d’accès l’identité et les coordonnées de l’éditeur correspondant à l’adresse IP. Par conséquent, le demandeur ne démontre pas « le trouble résultant de l’impossibilité prétendue, mais non démontrée, d’agir directement contre l’éditeur du propos dont il se plaint ».
Il en serait autrement si l’hébergeur conservait et fournissait des éléments d’identification du responsable du contenu manifestement faux ou farfelus ne permettant pas au plaignant de se retourner d’abord vers l’auteur. Il engagerait sa responsabilité sur la base de l’article 1383 du Code civil comme cela a été jugé dans l’affaire Tiscali(CA Paris, 7 juin 2006).
Mais le présent référé paraît très décalé par rapport à l’arrêt Google de la Cour d’appel de Paris du 12 décembre 2007 concernant l’hébergement d’un blog préjudiciable au groupe Benetton. Dans cette affaire, la Cour estimant que « l’adresse IP, si elle constitue une donnée personnelle, ne permet que d’identifier un ordinateur » (sic), Google Inc. « ne pouvait donc se contenter de fournir aux intimés une adresse IP en les renvoyant au fournisseur d’accès du blog litigieux pour obtenir l’identité de l’auteur du blog litigieux, alors qu’en qualité d’hébergeur, [Google] devait disposer pour respecter la LCEN, des éléments d’identité qui lui étaient demandés ». En conséquence, la Cour avait estimé que l’hébergeur Google n’avait pas respecté les dispositions de la loi relatives à la conservation des informations de nature à permettre l’identification de l’éditeur du blog en cause. Mais, il est vrai que dans le référé commenté l’hébergeur a aussi fourni l’adresse électronique fournie à l’hébergeur par l’administrateur du blog ; ce qui pourrait paraître être suffisant pour répondre aux exigences de la loi. Tout récemment encore à propos de Youtube, considéré seulement comme hébergeur, le juge a considéré qu’il avait failli à ses obligations d’hébergeur en ne collectant pas « les données de nature à permettre l’identification des internautes éditeurs sur son site telles qu’expressément et clairement définies par la loi à savoir leurs nom, prénoms, domicile et numéro de téléphone », même dans la période d’attente du décret d’application prévu mais non encore paru. Comme en l’espèce Youtube n’avait collecté que le nom de l’utilisateur de l’hébergement, son adresse e-mail et son adresse IP (TGI Paris, 14 nov. 2008, Jean-Yves L. et a. c/ YouTube et a. ; voir infra, nº 1461).

Pour le juge du référé, l’hébergeur n’ayant commis aucune faute, il ne peut voir sa responsabilité engagée pour le non-respect de la loi du 21 juin 2004 qui ne permet pas dans ces conditions d’obtenir encore de l’hébergeur la suppression du contenu en cause. Mais en fonction des circonstances, il reste possible pour l’autorité judiciaire de prescrire en référé ou sur requête, à toute personne mentionnée au 2 (l’hébergeur) ou, à défaut à toute personne mentionnée au 1 (fournisseur d’accès), toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne, en application de l’article 6-I-8 de la LCEN. Cela obligerait alors le juge à concilier la loi du 24 juin 2004 avec la loi de 1881 comme il l’a fait avec la loi du 6 janvier 1978.

Sur la base de ces différentes analyses, le Tribunal de grande instance de Paris a dit n’y avoir lieu à référé, par une ordonnance du 23 juin 2008 ; mais, la juridiction ne paraît pas totalement cohérente avec elle-même.

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